Cynisme économique
Par qwerty le 0 Commentaire
Un code du travail en miettes, Martine Bulard, 14 septembre 2015, dans le monde diplomatique
On pourrait pourtant faire remarquer qu’il suffit d’enlever toutes les dérogations exigées et obtenues par le patronat (sur le temps de travail, l’intérim, les types de contrat de travail, etc.) pour alléger sensiblement ledit code…On pourrait se livrer comme certains petits malins au jeu de « qui pèse le plus lourd » : le code du travail (sans les commentaires de l’éditeur Dalloz) atteindrait 0,789 kilogramme (kg), contre 1,450 kg pour le code du commerce ou encore 1,100 kg pour celui des sociétés. […] Révolution, tabou… Curieusement, ces mots ne s’appliquent jamais à la remise en cause de la toute-puissance des actionnaires. Comme si une entreprise ne devait être qu’au service de ceux qui détiennent le capital. Quant à l’obligation d’obtenir l’accord de la majorité des salariés (ou des syndicats), qui serait le nec plus ultra de la démocratie, il ne s’agit que d’un cache-sexe. Qui peut croire qu’en période de chômage et de division syndicale, le rapport de forces ne tournera pas à l’avantage du patronat ? Qui peut croire qu’un code du travail, fût-il allégé, créera des emplois ? En 2008, il avait déjà perdu des plumes (500 lois, 10 % de texte en moins) avec comme maître d’œuvre, déjà, M. Combrexelle… sous l’autorité de M. Sarkozy . On connaît le résultat sur l’emploi.
Certaines formes de revenu garanti reposent sur l’inconditionnalité du revenu qui ne doit être soumis à aucune condition d’activité. Mais on peut se demander si une telle conception n’est pas conduite à réitérer les présupposés de l’individualisme et de l’hédonisme libéral. L’individu doit avoir le droit à un revenu pour pouvoir faire ce qu’il lui plaît sans considération de son appartenance à une société et à un milieu naturel. Il est tout d’abord possible de se demander si on ne doit pas considérer le revenu comme le produit non d’un individu, mais d’une activité collective. A l’inverse de l’activité individuelle centrée sur un plaisir narcissique, le travail est un fait social qui implique, du fait de la division du travail, des relations entre les individus. De fait, l’existence d’un tout social suppose un contrôle démocratique sur la richesse produite au sein de la société et la manière dont elle est utilisée. Quelles activités doivent être favorisées par la richesse collective ? En effet, on peut se demander s’il s’agit de subventionner des individus pour qu’ils se livrent par exemple à des activités polluantes ou à la production d’objets de consommation inutiles ou autres…
Mais nous faisons face à ces deux problèmes au même moment, et ils se renforcent mutuellement : plus d’énergie nécessaire pour extraire et raffiner les métaux, plus de métaux pour produire une énergie moins accessible.[…] La croissance « verte » se base, en tout cas dans son acception actuelle, sur le tout-technologique. Elle ne fera alors qu’aggraver les phénomènes que nous venons de décrire, qu’emballer le système, car ces innovations « vertes » sont en général basées sur des métaux moins répandus, aggravent la complexité des produits, font appel à des composants high tech plus durs à recycler. […] Le déploiement suffisamment massif d’énergies renouvelables décentralisées, d’un internet de l’énergie, est irréaliste. Si la métaphore fleure bon l’économie « dématérialisée », c’est oublier un peu vite qu’on ne transporte pas les électrons comme les photons, et qu’on ne stocke pas l’énergie aussi aisément que des octets. Pour produire, stocker, transporter l’électricité, même « verte », il faut quantité de métaux. Et il n’y a pas de loi de Moore (postulant le doublement de la densité des transistors tous les deux ans environ) dans le monde physique de l’énergie. […] Mais une lutte technologique contre le changement climatique sera aussi désespérée. […] Avec la croissance « verte », nous aimerions appuyer timidement sur le frein tout en restant pied au plancher : plus que jamais, notre économie favorise le jetable, l’obsolescence, l’accélération, le remplacement des métiers de service par des machines bourrées d’électronique, en attendant les drones et les robots. Ce qui nous attend à court terme, c’est une accélération dévastatrice et mortifère, de la ponction de ressources, de la consommation électrique, de la production de déchets ingérables, avec le déploiement généralisé des nanotechnologies, des big data, des objets connectés. Le saccage de la planète ne fait que commencer. […] Nous devrons décroître, en valeur absolue, la quantité d’énergie et de matières consommées. Il faut travailler sur la baisse de la demande, non sur le remplacement de l’offre, tout en conservant un niveau de « confort » acceptable. […] Liberticide ? Certainement, mais nos sociétés sont déjà liberticides. Il existe bien une limite, de puissance, de poids, fixée par la puissance publique, pour l’immatriculation des véhicules. Pourquoi ne pourrait-elle pas évoluer ? Un des principes fondamentaux en société est qu’il est préférable que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. Puisque nous n’avons qu’une planète et que notre consommation dispendieuse met en danger les conditions même de la vie humaine – et de bien d’autres espèces – sur Terre, qui est liberticide ? Le conducteur de 4×4, l’utilisateur de jet privé, le propriétaire de yacht, ou celui qui propose d’interdire ces engins de mort différée ? […] Il faudra aussi se poser la question de l’échelle territoriale à laquelle mener cette transition, entre une gouvernance mondiale, impossible dans les délais impartis, et des expériences locales individuelles et collectives, formidables mais insuffisantes. Même enchâssé dans le système d’échanges mondial, un pays ou un petit groupe de pays pourrait prendre les devants, et, protégé par des mesures douanières bien réfléchies, amorcer un réel mouvement, porteur d’espoir et de radicalité. Compte-tenu des forces en présence, il y a bien sûr une part utopique dans un tel projet de société. Mais n’oublions pas que le scénario de statu quo est probablement encore plus irréaliste, avec des promesses de bonheur technologique qui ne seront pas tenues et un monde qui s’enfoncera dans une crise sans fin, sans parler des risques de soubresauts politiques liés aux frustrations toujours plus grandes. Pourquoi ne pas tenter une autre route ? Nous avons largement les moyens, techniques, organisationnels, financiers, sociétaux et culturels pour mener une telle transition. A condition de le vouloir.