Gemini, pour un web plus sobre ?
Il est apparu en 2019 un drôle d’OVNI le « protocole Gemini », qui souhaite apporter de la sobriété à Internet. J’en ai entendu parlé la première fois dans l’été 2020, et il a connu un engouement dans la sphère geek francophone en décembre 2020, avec notamment la publication d’un billet sur le site de Framasoft.
Avant de parler plus en détail de ce « protocole », il est nécessaire de poser quelques bases. Internet, c’est quoi ? Ce sont des ordinateurs qui communiquent entre eux. Pour ce faire, ils ont un langage commun, qu’on appelle « protocole ». Le web a un protocole spécifique (HTTPS), les courriels également (IMAP, SMTP), le partage de fichiers (FTP). Bref, le protocole est une sorte de langua franca permettant à deux ordinateurs permettant de communiquer entre eux.
Revenons à Gemini. Une personne, qui se surnomme lui-même « SolderPunk » (le soldat punk), critique le modèle actuel du web. Trop de pisteurs, trop lourd avec des vidéos qui se lancent tout seuls, nécessitent des ordinateurs trop puissants. Il a voulu donc revenir à l’Internet des origines, celui des années 1990, celui des quelques pages légères, avec peu de fioritures, bref, un «slow web». Il a donc décidé de créer son propre protocole, Gemini (site officiel du projet). Gemini fait référence aux programmes spatiaux américains dans les années 1960 (d’où le port par défaut qui est à 1965), entre les projets simplistes Mercure et les projets hypercomplexes Apollo.
Il propose donc un protocole minimaliste, qui est sécurisé (en utilisant le TLS), et un langage de formatage qui lui est propre. Pas de cookies, pas d’images. Seulement un lien par ligne, seulement la possibilité de trois niveaux de titres, du texte préformaté (pour les codes informatiques), des listes non ordonnées, des lignes de citations. Ce langage de formatage est ainsi une sorte de Markdown simplifiée à l’extrême, et le concepteur ne souhaite pas le faire évoluer, pour le garder minimaliste. Même pas la possibilité de voir des images. Il faut savoir que les navigateurs web sont constitués actuellement de plusieurs millions de lignes de code. La simplicité du formatage des pages cherche également à réduire la complexité de nos navigateurs, et un développeur « moyen » peut en quelques jours coder un navigateur et un serveur Gemini (il en existe d’ailleurs pléthore, ± maintenu). Si la technique vous intéresse, Stéphane Bortzmeyer propose une explication.
Mais on retiendra l’essentiel : au lieu d’avoir des pages de plusieurs méga-octets, avec des images, de la pub et des vidéos se lançant automatiquement, on a une page de quelques kilooctets (mille fois moins !). Beaucoup plus léger, beaucoup plus spartiate. Les logiciels pour faire tourner un serveur Gemini demandent peu de ressources et peuvent être installés sur de vieux appareils (c’est possible également pour les serveurs web, mais en faisant le choix de pages statiques). Mais sinon, c’est comme le web : on a du texte et des liens. Le vocabulaire change un peu, ce n’est plus des sites, mais des « capsules » (métaphore spatiale, vous l’avez ?). Ainsi, Gemini est parfois surnommé le « Small Web », le petit web.
Comment y accéder ? Si vous voulez utiliser votre bon vieux navigateur, il est nécessaire d’utiliser un proxy. Sinon, il existe des navigateurs pour Gemini spécifiques. Personnellement, le recommande LaGrange, qui est le plus abouti d’un point de vue ergonomique. Quelques geeks ont mis en place leur serveur Gemini, qui sont généralement une copie de leur page web. Voici donc quelques « bonnes feuilles », mais il en existe d’autres !
La page du concepteur du projet gemini://gemini.circumlunar.space/
Le blog d’un professeur de physique chimie : gemini://ybad.name/
Le blog de Stéphane Bortzmeyer : gemini://gemeaux.bortzmeyer.org/
Un moteur de recherche pour le gemini-space : gemini://gus.guru/
Au final, que penser de Gemini ? Gemini ne peut pas, à mon avis, remplacer le Web. On utilise le web pour de nombreux usages (communication, banques, etc.), et on déporte les applications sur le Web. Si Gemini n’a pas la prétention de remplacer le Web, il apporte néanmoins un interstice, une alternative, une zone à défendre numérique. Un espace où il est possible d’imaginer une autre manière de faire.
Personnellement, je reste moyennement convaincu par ce système : je suis un partisan de Markdown, permettant un formatage plus riche, on ne peut pas faire l’économie du gras ou des images, et ayant un écosystème autour très développé. Il est impossible de suivre un site, comme il est possible avec les flux RSS/ATOM sur le web. D’un autre côté, je suis partisan pour une forme de sobriété numérique, et clairement, Gemini est dans cette dynamique. Bref, on ne peut qu’encourager et saluer ce genre d’initiatives, malgré leurs limites.