Notre génération
En France, aux yeux des générations précédentes, notre génération (celle née dans les années 1990) est une génération gâtée. Nous n’avons pas connu la guerre, et ayant vécu dans un relatif confort matériel. D’ailleurs, la génération précédente (les fameux baby-boomers) rigole souvent en nous traitant de « génération égoïste », et qu’ « une bonne guerre vous ferez du bien ». Pourtant, ce qui marque la jeunesse d’une personne (disons, tout évènement avant l’anniversaire de ses 25 ans), marque le comportement d’un individu durant le reste de sa vie. Songeons à nos grands-parents, qui ont connu la privation de la guerre, stockant des denrées pour plusieurs années.
Notre génération a connu en toile de fond la crise environnementale, depuis sa plus tendre jeunesse. Elle a connu le terrorisme (les tours jumelles en 2001, les attentats de 2015-2016…) et l’état d’urgence qui en a suivi. Elle a connu la crise économique (2008, probablement une en 2020), la crise sanitaire (Le Covid-19 pour 2020), les émeutes (en 2005, les gilets jaunes en 2018-2020), la lutte contre le machisme et le racisme (mouvement MeToo, Black Lives Matter, etc.). Elle connaît la difficulté à s’insérer sur le marché de l’emploi, faute d’emplois à la hauteur de ses qualifications. Elle a connu la casse du service public. Bref, malgré les avancés technologiques, elle n’a connu que des régressions sociales, et le mot « crise » a joué le rôle de tempo, tant elle fut martelée durant toute sa jeunesse. Elle a connu également des évènements positifs, comme l’intégration européenne de nouveaux pays, la démocratisation d’Internet, la construction d’un monde plus uni.
Les évènements de notre jeunesse marquent notre comportement. Si on résume, notre génération a l’impression d’être la « génération sacrifiée », tant on lui semble dénier toute dignité, tant à un avenir habitable – avec les rares mesures timides concernant l’environnement (si on veut être positif) –, ; qu’à un présent digne, quand on pense à la précarité dont elle souffre.
Néanmoins, de ces épreuves, notre génération tire un certain nombre de valeurs. L’importance qu’elle accorde à la protection de l’environnement (et dont on voit la mise en valeur dans la scène médiatique, notamment avec le mouvement lancé par Greta Thunberg), la justice sociale (conséquence directe liée aux émeutes et au sentiment d’injustice), le cosmopolitisme et l’ouverture sur le monde (lié par le sentiment d’un « destin commun » avec le reste de l’humanité, préférant voir l’autre comme un frère plutôt que comme une menace), la démocratie (en réaction aux reculs des libertés civiques suite aux différents états d’urgence et autres lois liberticides justifiés par le terrorisme), et certainement le care (suite à la pandémie mondiale).
Cette génération a quasiment ou va avoir un quart de siècle, soit la période d’une génération. Cette génération avec de nombreuses personnes ne veulent volontairement pas d’avoir d’enfants. Nous sommes cette génération qui construit un nouveau monde, faute d’avoir su trouver sa place dans l’ancien. Cette génération qui a dû grandir trop vite, a dû faire le deuil de ses illusions et qui considère qu’on peut survivre qu’à travers l’entraide. Cette génération née juste après l’effondrement d’un monde (l’URSS, le mur de Berlin), et qui a grandi dans le clair-obscur où naissent les monstres (chacun ses références, OK, Boomer ?), mais aussi dans la frénésie d’un web naissant, et qui portait la promesse d’un village planétaire. Cette génération qui paye les pots cassés de la génération précédente (la crise climatique et économique), et qui se fait infantiliser par cette dernière.
Ainsi, notre génération est pessimiste de son présent, mais optimiste de son futur, qu’elle va construire, pierre par pierre, et sans lendemain qui chantent ou de grands soirs, n’attendant surtout rien d’un homme providentiel. Elle ne pourra compter que ses propres efforts, et naviguer à vue dans la tempête, dans un navire qui prend l’eau. Mais on pourra réussir, car il en va de notre survie.
Bien sûr, il ne faut pas faire de généralités, et je tiens en horreur quand elles dépeignent une génération, tant une génération est protéiforme. Je parle du point de vue situé d’un Français né dans la seconde moitié des années 1990, faisant partie de la classe moyenne et éduquée, et ayant vécu dans une petite ville de province.