Il est établi, depuis quelques années, qu’on doit se préoccuper de l’environnement. Ce dernier est devenu, depuis les années 1970, un argument de plus en plus important du débat politique et d’une certaine conscience de la part des citoyens. Il est donc la norme de se préoccuper de notre environnement. On « fait la chasse au gaspillage », achète « vert », bref, on essaye d’être « éco-responsable ». Au-delà d’un greenwashing – ou écoblanchiment en bon français – transformant une volonté politique en argument commercial, chacun a « sa » vision de l’écologie, en fonction de ses sensibilités politiques. L’écologie politique et son évolution sont des phénomènes assez intéressants à observer. En effet, sous un ensemble de valeurs communes telle que la protection de l’environnement se cachent des volontés différentes, allant de l’altermondialisme à un ultralibéralisme, de la défense des opprimés à le justification de cette oppression. Il semble donc important à l’heure où l’environnement est un argument majeur dans le débat public d’en faire un panorama.

J’ai essayé, dans un but didactique, de ne pas faire une énumération exhaustive ou un classement selon l’axe gauche-droite. Il se peut que, dans une volonté de vulgarisation, il y ait des oublis ou des approximations.

Depuis quelques années, on assiste à la prise de conscience d’une crise écologique et sociale grave. En effet, le modèle capitalistique hérité des différentes révolutions industrielles montre ses limites. L’exploitation effrénée des différentes ressources, telles que les minerais ou les hydrocarbures, n’est pas viable. On a misé sur une croissance du Produit Intérieur Brut comme indicateur de richesse ; néanmoins, en 1973 et 1979 eurent lieu deux chocs pétroliers. Ainsi, il y a une prise de conscience : ce modèle n’est pas soutenable (d’ailleurs, en anglais, on dit sustainable development et en espagnol desarollo sostenible1 soit développement soutenable). De plus, on a passé le pic pétrolier dans les années 2010, indiquant qu’on ne peut plus extraire autant de pétrole. Tous ces changements, d’une part la fin d’un produit bon marché, d’autre part la fin du produit tout court, sont révélateurs. Toute la société est basée sur une source d’énergie supposée à faible coût et illimitée. Et, d’une manière brutale, ce postulat devient caduque. Ainsi, on s’aperçoit qu’on ne peut plus consommer de manière illimitée des ressources sur une planète aux ressources limitées.

Ce phénomène ne touche pas seulement le pétrole. L’eau douce devient de plus en plus rare. Face à la frénésie des grands champs de culture, de soja ou d’huile de palme, on rase une forêt à la biodiversité importante ; cette baisse de biodiversité est problématique. En effet, il en dépend de la résilience de la planète face aux changements climatiques. De plus, on s’aperçoit que l’être humain a un impact important sur son environnement : dérèglement climatique avec la fonte des glaciers, montée des eaux et aridification, impact sur la couche d’ozone…

Devant ce sombre tableau, le risque d’un péril et d’une disparition pure et simple de l’humanité, les plus démunis subissant de plein fouet les crises écologiques et climatiques, et une peur que ces derniers veuillent atteindre le niveau de vie des plus riches. Mais cela est impossible, du fait que ces derniers consomment énormément de ressources, bien plus que la Terre ne puisse en produire. Des calculs montrent qu’il nécessiterait plusieurs planètes, variant de deux à cinq, voire dix, pour que l’ensemble de la population mondiale ait un train de vie similaire.

Face à cela, des critiques fusent contre la société de consommation, excessive en ressources. On consomme trop, au détriment de notre environnement. On perd la « Nature », c’est-à-dire le « non-anthropique », et on se rend compte que cela est mauvais.

Ces critiques ne sont plus seulement de l’ordre socio-économique, de part un modèle de production gourmand en ressources. Elle sont aussi philosophiques : quelle est la place de l’être humain dans la nature ? En effet, dans la vision judéo-chrétienne, puis dans la vision humaniste et celle des Lumières, l’être humain est maître de la nature, doit la contrôler, il lui est supérieur de par la maîtrise des outils (souvenez-vous du mythe de Prométhée). Ainsi, l’écologie politique conteste l’anthropisation au détriment de la nature et l’exploitation de cette dernière pour le seul profit de l’être humain. Il y a une volonté de redéfinition de l’humain dans son milieu. L’écologie profonde considère qu’il y a une égalité entre les différents êtres vivants. L’humain n’est pas supérieur à une pâquerette, par exemple, et tous deux ont le droit à la vie. Nous sommes à l’opposé du système humaniste considérant l’humain comme le centre de l’univers.

Néanmoins, l’étendard de l’écologie politique est porté par des acteurs différents, voire quasiment antinomiques. Cela va des anarchistes aux mouvements religieux (notamment chrétiens) anti-modernistes.

Un des éléments clés pour comprendre l’écologie politique est de comprendre le principe du développement durable. Le développement durable est définissable comme étant la volonté de répondre aux besoins des générations actuelles sans compromettre ceux des générations futures. Celle-ci se base sur trois enjeux : l’enjeu social, l’enjeu économique et l’enjeu environnemental, pour lesquels on doit trouver un équilibre sur le long terme. Par définition, il doit être donc durable. Cette approche doit être systémique, c’est-à-dire être étudié et pensé en tant que système, en ayant une approche globale. En effet, il existe une interdépendance planétaire. Pour prendre un exemple simple, l’Amazonie est fertilisée par le sable saharien. On retrouve ici la théorie du battement d’aile du papillon : « un fait, même insignifiant, peut avoir de lourdes conséquences ». L’économie est planétaire, du fait de la mondialisation. Grâce aux différents moyens de communication, les échanges sont mondiaux. Néanmoins, les besoins sont locaux. Un paysan d’Asie du sud-est n’aura pas les mêmes besoins qu’un Européen habitant une métropole. Ainsi, on doit « penser global, agir local ».

Selon les opinions de chacun, les solutions peuvent être différentes. Tandis que certains veulent simplement modifier quelques éléments du système actuel, d’autres veulent radicalement le changer. Finalement, certains voient en l’écologie un simple prétexte pour défendre une idéologie de domination.

Une thèse soutenue par les libéraux et régulièrement utilisée est l’idée qu’il suffirait de faire « quelques ajustements » sans remettre en cause le système. Ces partisans utilisent l’idée d’une « croissance verte ». L’idée est simple : on garde la société de consommation, mais on réforme quelques points pour limiter les impacts économiques. Pire, on voit en cette crise écologique une nouvelle niche économique, idéale pour faire du profit. Ainsi, dans son rapport « L’OCDE et la croissance verte », voilà comment l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique) voit le développement durable :

La voie à suivre pour passer de l’économie actuelle à une économie durable [consisterait à] promouvoir la croissance et le développement tout en réduisant la pollution et les émissions de gaz à effet de serre, en limitant le plus possible la production de déchets et le gaspillage des ressources naturelles, en préservant la biodiversité et en renforçant la sécurité énergétique. Elle nécessite de « découpler » davantage les impacts environnementaux et la croissance économique et d’adopter des modes de consommation et de production plus respectueux de l’environnement tout en réduisant la pauvreté et en améliorant les perspectives des populations en matière de santé et d’emploi. [Il implique de] faire de l’investissement environnemental une nouvelle source de croissance économique.

En somme, il y a une volonté de statu quo social et économique. Le système ne change pas, il mute pour s’adapter. Si on veut être cynique, on peut dire qu’il s’adapte aux marchés : les consommateurs veulent du renouvelable, alors vendons-en !

Une autre thèse est celle d’un changement de société. Cette dernière est disparate sur la notion de changement et sur le modèle de société à adopter. Certaines personnes, à l’instar de Pierre Rabhi, prônent une sobriété heureuse, une forme de décroissance. Cette idée de simplicité se retrouve dans de nombreuses religions, notamment dans les différentes formes monastiques, telles que les philosophies orientales ou l’ordre des Franciscains. Le principe est simple : on consomme moins, on se contente de ce qui est utile, on recycle… Ce principe de décroissance est en réaction de celui de développement durable. On va réduire notre empreinte écologique et donc nos consommations en ressources. En somme, on va parler de « simplicité volontaire » ou de « sobriété heureuse », en cherchant notre bonheur autrement que dans la consommation. D’autres personnes, tels que les communistes libertaires (une branche de l’anarchie) ont une volonté de changement, de révolution sociale. Volonté d’abolition de la propriété privée pour la production de biens, ainsi qu’un partage de la prise de décision. Pour eux, c’est une condition sine qua non que de rationaliser l’économie tout en permettant à chacun de satisfaire leurs besoins en fonction des ressources économiques. On retrouve cela dans l’affirmation de Louis Blanc : « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». On consomme selon ses besoins, de façon égalitaire et rationnelle.

Mais cette volonté de changement de l’écologie politique accompagne souvent ce qu’on appelle l’altermondialisme, en voulant proposer une alternative au libéralisme économique. On retrouve de nombreuses initiatives qui promeuvent une forme de solidarité, l’utilisation de techniques alternatives d’agriculture comme l’agroécologie ou la permaculture, la réparation et le recyclage des objets… dans le but de réduire au maximum l’impact sur l’environnement. Il y a aussi des expérimentations sociales basées sur le partage et la mixité socio-culturelle, ou des expérimentations économiques, tels que le système économique local, le revenu universel de base, ou le commerce équitable.

Il y a aussi dans l’écologie politique un courant qui justifie plusieurs doctrines réactionnaires. On retrouve une forme de darwinisme social, affirmant que telle ou telle « race » est supérieure à une autre, un eugénisme pour garder des individus « aptes » en éliminant ceux ne rentrant pas dans la « norme », tels que les handicapés. Il y a une volonté de garder un être « parfait » en se basant sur une interprétation non scientifique de la sélection des espèces. Une thèse similaire est celle d’un « monde plein », le malthusianisme. Puisqu’il y a une surpopulation, on ne peux pas nourrir tout le monde (ce qui est faux). Il y a donc une volonté de « réguler » la population. On peut aussi retrouver un rejet pur et simple de l’industrie et de la technologie. Il y a une volonté de rejeter le progrès, qu’il soit technologique ou social, pour un retour à la terre et un mode de vie anté-industriel. Dans le même principe, certaines personnes pensent que de nombreuses choses sont « contre-nature » et « contre l’ordre établi par Dieu », justifiant de ce fait un rejet de l’avortement ou soutenant l’homophobie. Il y a souvent dans ce cas-là un rejet fort de la science.

L’écologie politique est donc une réponse à de nombreux changements sociétaux et environnementaux. Cette prise de conscience est maintenant quasi-universelle. Néanmoins, les réponses apportées sont différentes selon les sensibilités de chacun. Face à l’urgence de la situation, nous devons agir rapidement, mais en tenant en compte de l’ensemble de la population, riche ou pauvre. Peut-on imaginer un système de gouvernance mondial pour résoudre un problème mondial ?


  1. Je tiens à remercier Benjamin pour cette remarque concernant la traduction espagnole.