L’Homme nouveau et la crainte de voir disparaître l’Homme ancien constituent une peur ancestrale. Elle se manifestait déjà à l’époque helléniste et se manifeste encore de nos jours. Il est donc légitime de se questionner sur la nécessité ou non de créer un Homme nouveau et à quel prix. Ainsi, il faut mettre dans la balance les dérives éventuelles et les nouvelles possibilités qui s’ouvrent à nous !
Avant de savoir ce qu’est - ou ce que n'est pas - un Homme nouveau, il faut définir ce qu'est un Homme. D’un point de vue biologique, c’est un homo sapiens sapiens (un Homme doublement sage), un primate bipède avec un pouce opposable. Théologiquement, l’Homme est la représentation, imparfaite certes, de Dieu. D’un point de vue philosophique, l’Homme est tantôt un animal supérieur, tantôt un animal comme les autres mais avec une conscience. Finalement, pour la science physique l’Homme n’est qu’un tas de poussière issu du hasard, comme la totalité des composants de l’univers.
La peur d’un Homme nouveau se justifient grâce à de nombreux arguments. Tout d'abord, la peur d’un eugénisme, digne des heures les plus sombres de notre Histoire, et la volonté de plusieurs fous de créer une « race pure » est pleinement justifiée par le fait qu'il faudra dans ce cas définir ce qui est pur ou non. La pureté ethnique est subjective, chacun s’estimant le plus parfait. Cet eugénisme peut prendre une autre forme. À l’instar du livre Le meilleur des mondes d’Huxley, les individus sont choisis génétiquement selon des critères précis. Ces caractéristiques, se basant sur le niveau de « pureté » de l’individu (défini notamment par la beauté ou les capacités sociales, caractéristiques modulées de manière artificielle en faisant subir aux embryons un certain nombre de processus d’altération), déterminent son statut social. Cet eugénisme peut dériver vers la fabrication d'un humain « conforme », typé, reproduit en série. Se pose alors la question suivante : qu’est-ce qui fait qu'un Homme puisse être bon, dans le sens qualitatif, génétique, tel un produit qu’on détruirait car ne correspondant pas à des caractéristiques requises pour sa mise en vente ? Les normes peuvent parfois (ou tout le temps) se tromper. Un professeur d’Einstein aurait dit que rien de bon ne sortirait de lui, et ce fut pourtant ce dernier qui révolutionna l’astrophysique. Ainsi, les critères de choix sont caduques et irraisonnés, l’Homme n’étant qu’un Homme et donc par définition imparfait, il ne peut définir la perfection qu’il se donne comme objectif. On doit aussi prendre en compte la crainte d’une marchandisation de l’homme. Par des choix génétiques ou par manipulation, on pourrait créer des surhommes, plus intelligents, plus forts, plus sportifs, plus compétents. Mais ces manipulations seraient très onéreuses, permettant ainsi à une aristocratie aisée d’être « supérieure » au commun des mortels. Il y aurait donc une perte du principe selon lequel les Hommes naissent libres et égaux (principe répété dans toutes les déclarations des Droits de l’Homme rédigées, preuve de son importance capitale) : les nantis seront « plus égaux que les autres » pour reprendre l'expression d'Orwell. Au final, il y aurait une humanité à deux vitesses : les riches, puissants surhommes, et les pauvres, simples humains. Autre crainte, différente du facteur génétique, est celle des trans-humains, des humains cyborgs et autres créatures mi-Homme, mi-machine. Peut-on améliorer la condition humaine par le biais de machines ? Il est impossible de modifier certains paramètres, à l’aide d’outils perfectionnés, comme le rythme cardiaque ou les impulsions électriques dans le cerveau, issus de millions d’années d’évolution et de perfectionnement, sans risquer la mort. Jouer les apprentis sorciers en bidouillant une mécanique huilée risquerait purement et simplement d'en arriver à la fin du fonctionnement de ladite machine ! Certaines personnes ayant tenté de modifier le rythme d’impulsions électriques dans le cerveau, affirment même qu’ils ont eu des effets similaires à ceux des drogues dures ! Encore une autre problématique : celle de la peur de la nouveauté. Adam Douglas disait que tout ce qui était créé pendant notre enfance était considéré comme normal ; ce qui était créé pendant notre adolescence comme quelque chose de fantastique ; ce qui était crée après la ménopause (ou l’andropause pour les hommes) comme quelque chose de contre-nature ou de trop compliqué. Ainsi donc, il paraîtrait normal pour des jeunes d’imaginer un Homme nouveau à une période où l’envie de changer le monde est la plus importante. Il serait aussi normal que des personnes plus âgées pour qui la mécanisation du corps ou la manipulation génétique relève de la magie noire soient réticentes à cela.
A contrario, il existe de nombreuses raisons d’espérer un Homme nouveau. Tout d’abord, rien n’est plus naturel que la nouveauté, qui est induite par le hasard et l’évolution. L’évolution, par tout un jeu de sélection, permet de choisir les individus les plus adaptés à un milieu donné et donc d'y survivre. S’opposer à cette évolution c’est tout simplement s’opposer à la survie de l’Homme ! Ainsi, l’Homme nouveau doit répondre à de nouveaux besoins, issus de l’anthropisation de son milieu. Il doit alors survivre à une forte radioactivité, à une pollution importante, à une eau moins pure, à moins de viande (élément nutritif gourmand en ressources), à une densité de population plus importante (ce qui implique des afflux accrus d’informations qu’il n’avait alors pas à traiter, plus de personnes à connaître et à reconnaître, un sens plus poussé du vivre ensemble, etc.) et finalement à un environnement essentiellement urbain (la majorité de la population vit maintenant dans des villes, le XXème siècle ayant été marqué par le basculement d’un mode de vie rural à un mode de vie urbain). Le cerveau de l’Homme s’est aussi hautement modifié depuis l’ère d’Internet, changeant les connexions dans l’encéphale et le développement des aires cognitives : à cause de cela, l’Homme moderne apprend moins, car l’information est partout, mais analyse plus cette pléthore informationnelle. Il ne faut pas avoir peur de cette révolution. Platon disait que l’écriture allait rendre les personnes idiotes. L’Église disait que l’imprimerie allait rendre les personnes paresseuses intellectuellement ; c'est pourtant à ce moment-là qu’il y a eu un foisonnement intellectuel ! Mais l’Homme est aussi un animal spirituel (qui a un esprit) et pas seulement un singe savant, c'est à dire qu'il a une conscience morale. L’Homme nouveau devra donc développer cette spiritualité, qui se traduit par plus d’unité parmi le genre humain, plus de coopération, plus d’amour et de justice pour pouvoir sous cette seule condition sine qua non parvenir à la paix mondiale tant espérée. On pourrait résumer cette nature-là par une citation de Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »
Finalement, l’Homme nouveau, pour assumer ses responsabilités face à un nouveau monde, développe trois natures : une nature physique, avec l’amélioration génétique et mécanique ; une nature intellectuelle, avec de meilleures interconnexion et analyse des informations ; une nature spirituelle, jouant en quelque sorte le rôle de la morale, de la conscience, du chef d’orchestre permettant d’arriver à son dessein et de contrer les dérives. D'un autre côté, on retrouve des craintes légitimes, notamment celles d'une naissance d’une aristocratie supérieure, d’une humanité à deux vitesses, de la perte potentielle d’électrons libres, de marginaux faisant pour autant avancer l’humanité à leur manière. Il faut donc peser le pour et le contre, les peurs contre les bénéfices que l’on peut en tirer.
On pourrait conclure face aux défis inédits qui se profilent pour les années futures, tant inquiétants qu’excitants, en paraphrasant Malraux et dire que « le XXIème siècle sera celui de l’Homme nouveau ou ne sera pas ! »