Penser le post-travail

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Depuis quelque temps, je réfléchis sur la nature du travail, et imaginer des évolutions possibles quant à son évolution.

L’intérêt de la réflexion semble évidente. En effet, dans un contexte de chômage structurel, il semble pertinent de redéfinir nos rapports avec le travail. De plus, les manifestations contre la loi travail traduit un refus catégorique d’un système néo-libéral qui régit notre vie depuis plusieurs décennies. Néanmoins, le schéma de réflexion classique de lutte des classes marxiste ne suffissent plus, et on doit penser dans un mode de raisonnement différent, post-marxiste, comme nous démontre les printemps arabes, le mouvement des indignés espagnols, Nuit Debout… Cette dénonciation du système doit cependant être couplé à des propositions pour a minima réformer le système, ou le changer radicalement. Ces propositions doivent s’accompagner d’une réflexion sur la valeur-travail, la répartition des richesses… Bref, notre rapport avec le monde économique.

De la lutte des classes à la lutte des 99 %

Depuis Marx, on voit le monde du travail comme une lutte des classes. Néanmoins, les mutations actuelles montrent une évolution dans ce rapport de force, menant à une réflexion post-marxiste.

L’économie est perçue, dès la fin du XIX avec les travaux de Karl Marx, comme une question de lutte, une lutte de classes, entre ceux qui possèdent du capital (la bourgeoisie) et ceux qui possèdent la force de travail (le prolétariat). Il y a donc une lutte forte. Néanmoins, on voit une mutation, celle d’une perte d’un sentiment d’appartenir à une classe. Deux exemples. La première est une anecdote rapportée par ma grand-mère, ouvrière dans les années 1950-60. Elle avait eu une promotion pour superviser trois sections de l’usine. Néanmoins, elle a toujours refusé qu’on augmente son salaire, similaire à celui des ouvriers, pour pas « trahir » sa classe. On a là un sentiment fort d’appartenance de classe, et une volonté de pas la trahir, même si cela doit se traduire par une condition de vie plus modeste, pour lequel on ressort une certaine fierté. Changeons d’époque. Dans un article du monde diplomatique, on voit un changement sémantique fort. Les ouvriers ne sont plus appelés ouvriers, mais « opérateurs ». Au-delà du changement purement linguistique, la nature même du travail est modifié : on ne travaille plus toute sa vie dans une usine, mais en intérim, avec une rotation assez importante. Double conséquence : rejet de la notion du terme « ouvrière » et donc du sentiment d’appartenance de classes, et moins de syndicalisation, on est dorénavant seul dans la bataille. Cette destruction méthodique n’est pas innocente, et fait partie d’une stratégie de lutte des classes. Or, comme dit l’homme d’affaire étatsunnien Warren Buffett, « Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n’avons jamais été aussi prospères. C’est une guerre de classes, et c’est ma classe qui est en train de gagner ». On est bien dans un contexte de lutte de classes, sauf que le prolétariat est en train de perdre.

Mais pour moi, ce combat va au-delà de la notion de classes. En effet, la classe est définit par un ensemble de valeurs culturelles, or la notion de lutte tel présenté par la pensée marxiste concerne essentiellement la distribution du travail, pour savoir qui allait dominer, entre le capital (les machines) et la force de travail (les ouvriers). Or, bien que la mécanisation et la numérisation soit de plus en plus présente, on remarque que, avec Uber et l’économie qui va avec, on va au-delà des cauchemars de Marx. En effet, on devient un simple « prestataire » pour ces entreprises, qui nous fournissent plus la moindre sécurité sociale. De plus, on doit fournir le capital (la voiture), en plus de la force de travail (pour conduire). Ces entreprises ne servent qu’intermédiaire pour mettre en relation le client avec l’ouvrier, et pourtant, elles engrangent des rentrés d’argent folles. L’exploitation de l’homme par l’homme est à son comble.

On perd ainsi la notion de dualité capital versus force de travail. Il peut avoir des métiers prolétaires qui possèdent énormément de capital, sans être riche, dans le sens monétaire du terme, comme les agriculteurs (le foncier, les bâtiments de la ferme). Ainsi, le véritable enjeu n’est plus de savoir qui possède le capital ou la force de travail. C’est de savoir comment répartir les richesses. Le capital, avec la mécanisation, a augmenté la productivité. En clair, on produit plus de richesse en moins de temps possible. Pourtant, on travaille toujours autant et les écarts de richesses se sont creusés. Keynes, qui pourtant est loin d’être un révolutionnaire anarchiste, a déclaré dans son ouvrage Perspectives économiques pour nos petits-enfants (1930), que dans le futur, nous allons travailler 15 heures par semaine. Les gains de productivité actuel pourraient nous faire travailler moins. Ainsi, à l’instar du collectif Roosevelt, on pourrait partager le temps de travail pour lutter contre le chômage. Néanmoins, cela ne traiterait pas le problème de fond des écarts des richesses. En effet, selon un rapport Oxfam, 1 % de la population détient autant que les 99 %. Ce n’est plus un problème de classes, mais bien des 99 % se battant contre les 1 %. Bref, on est dans une supra-lutte des classes, dont l’ennemi est tout puissant. Les derniers traités de libre-échange, et la tendance actuelle, est de déléguer le pouvoir étatique à des entreprises privées, ces derniers étant plus puissantes que les États. Le chiffre d’affaires d’entreprises côtés en Bourse dépassent le PIB de certains États !

De plus, la notion de travail me gêne. En effet, étymologiquement, il vient du latin tripalium, un outil de torture. C’est effectivement le cas. De nombreuses études montre un certain mal être généralisé au sein du travail, les travailleurs ayant la sensation de travailler sans objectif, ne pas avoir la gratification. L’anthropologue David Graeber parle de bullshit jobs, c’est-à-dire des métiers conçus uniquement pour pouvoir occuper les personnes. Ainsi, la sacralisation de la « valeur travail », mène à créer des métiers inutiles. On doit se questionner, à l’instar de Paul Lafargue et son livre droit à la paresse (1880), sur la nature du travail. À mon sens, le travail sert avant tout à répondre à un besoin : on doit avoir des chaussures pour marcher, donc on fabrique des chaussures. Mais doit-on travailler juste pour s’occuper ? Ne doit-on pas utiliser notre temps et notre énergie à autre chose que travailler, et de ce fait, faire des activités non-marchands comme se cultiver ou passer du temps avec nos proches ?

Ainsi, on peut constater que, depuis Marx, un double phénomène apparaît. D’une part, la destruction méthodique de la conscience de classe, rendant impossible toute coordination. D’autre part, une tendance à des écarts de plus en plus grands, rendant dorénavant les 1 % intouchable.

Perspective pour le travail

Nous avons plus développé la notion purement financière et politique du travail. Ainsi, on constate des écarts de richesses, mais aussi des écarts de pouvoirs. De la richesse naît le pouvoir, et vis-versa, les deux éléments co-évoluant. De plus, on crée des activités inutiles pour occuper, au lieu de travailler moins du fait de la productivité, on va travailler autant en faisant des tâches inutiles. Alors, que faire pour changer les choses ? Ce questionnement n’est pas nouveau, et semble faire partie d’une réflexion depuis quelques années.

Premièrement, et c’est certainement l’élément le plus fondamental, est de revoir nos modes de production. A-t-on besoin de tel ou tel service ? Typiquement, l’agriculture biologique remet en question l’agriculture conventionnelle, et il faut une mutation des métiers. On doit passer du système industriel mono-culturale à une multitude de petites fermes poly-culturales. On doit réfléchir à la pertinence de tel ou tel métiers, afin d’éliminer les « bullshit jobs », et ne garder que les métiers qui semblent pertinent. Pour cela, il faut repenser tout le système, de A à Z. Quel est l’utilité de financiers par exemple ? Quel impact de tel secteur d’activité sur le plan social et environnemental ? Il faut se questionner sur la nature de notre travail. Ainsi, on doit faire disparaître les activités insoutenables. Mais aussi changer notre vision du travail : une simple vente de notre force de travail, ou est-ce aussi et surtout un service que l’on rends ?

En second lieu, il faut partager le gâteau, et mieux. Le courant néolibéral consiste à dire qu’on garde un partage actuel, mais on fait seulement grossir le gâteau. Mais c’est actuellement mauvais, car les écarts sont grands. Si je possède 10 % et mon voisin 40 %; la différence sera moins grande si le gâteau vaut mille que un milliard. Ce procédé de croissance accentue de manière mécanique les écarts, que l’on recherche à faire disparaître. Ces écarts sont inégalitaires et posent des problèmes sur la santé, l’éducation… il faut réduire ces écarts. On peut imaginer plusieurs systèmes, complémentaires, comme un revenu-plancher et plafond, pour réduire les écarts, tant vers le haut que vers le bas. On peut aussi imaginer une répartition des richesses, a posteriori, avec une taxation des gros épargnes, l’argent que l’on met de côté après avoir dépensé les dépenses courantes. Cet argent sera réinvestit auprès des plus pauvres ou dans des biens communs (écoles, routes…). Ce système aurait le mérite d’apporter une mise en œuvre concrète de la maxime « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». On peut aussi « socialiser les biens de production », c’est-à-dire que le capital appartient à ceux qui l’utilisent au sein de l’entreprise, ou dit autrement, permettre aux travailleurs d’avoir des parts de l’entreprise, ce qui est légitime. Ce modèle existe déjà dans la juridiction française, avec les SCOP. Ainsi, en plus de toucher leur salaire, ils toucheront une part des bénéfices des entreprises ! Pour partager la richesse, et sortir du système « boulot, métro, dodo », on peut et doit réduire le temps de travail de chacun, pour mieux le partager. Ces propositions, incomplet, ont un avantage : soit ils existent déjà, soit c’est possible, dans notre cadre législatif, de voter des lois pour aller dans ce sens.

Un autre point est sortir du système actuel mercantile. Il faut valoriser les initiatives en faveur des biens communs (gérer une ressource comme appartenant à la collectivité), permettre la possibilité d’utiliser la solidarité au sein de l’économique via les prix libres ou la gratuité… bref, imaginer une économie alternative au système capitaliste actuel.

De ce fait, nous avons évoqué de nombreux outils, juridique, financiers, économique, qui peuvent s’appliquer plus ou moins aisément dans notre mode de fonctionnement, permettant une évolution, sans passer nécessairement par une révolution. Bref, une possible transition. Mais tout est question de volonté et de choix politique !

En guise de conclusion

L’analyse marxiste montre ses limites dans notre monde actuel. En effet, ce n’est plus une lutte des classes, mais une hyper-lutte des classes, les 99 % contre les 1 % qui se joue. Or, avec la pensée néolibérale actuelle, les 99 % sont en train de perdre ! Plusieurs raisons à cela : la première est la destruction méthodique de toute organisation qui pourrait permettre une action collective. De ce fait, il faudra recréer ces structures, et cela doit passer par une prise de conscience de ce phénomène. Cela passe par une déconstruction méthodique du conditionnement que l’on a subit : non, le travail n’est pas sacré, et ça sert à rien de créer du travail pour travailler. On est plus dans un phénomène capital contre force de travail, mais bel et bien sur une question de répartition des richesses. Il faut comprendre à quoi est due cette répartition inéquitable, et sur comment permettre un rééquilibrage. Cela passe par plusieurs procédés : une remise en question de la nature de notre travail, en triant le travail pertinent et le travail non pertinent ; créer des outils permettant une meilleure répartition des richesses (fiscalité instaurant un revenu minimal et maximal, taxation de la richesse pour redistribuer à l’ensemble de la population, socialisation des biens de production, réduction du temps de travail…). Finalement, on doit repenser l’ensemble de la société, tant au plan économique, sociale… pour permettre l’émergence d’un nouveau système plus sain. Je ne me fais pas de soucis pour l’avenir, toutes ces questions sont réfléchies par de nombreuses personnes à travers le monde !