L’amour platonique est-il une forme d’amitié ? La question peut se poser tant il y a antinomie entre amour et amitié. Après un râteau, ne demande-t-on pas « peut-on rester ami ? » en guise de lot de consolation, l’amitié étant une forme amoindrie de l’amour. Ici, on ne va s’attacher qu’un seul versant de l’amour, celle platonique. Bien qu’il existe des interférences, un brouillage des frontières de plus en plus fréquent entre amitié et amour, songeons tout simplement aux « sex friends », il me semble plus intéressant de traiter l’ambiguïté qu’il y a entre amour platonique et amitié, et même de voir s’il existe non pas une différence de nature, mais de degré.
Pour Aristote, il existe trois formes d’amitié. La première est l’amitié en vue du plaisir, la seconde en vue de l’intérêt et la dernière l’amitié de la vertu. Pour Aristote, seule la dernière à grâce à ses yeux. Pour lui cette amitié est comme un miroir qui permet de voir tel qu’on est et donc permet de progresser. Toujours pour Aristote, il se distingue de l’amour, car il n’y a pas de relations de dépendance. Si on regarde d’autres penseurs, et qu’on recherche une définition de l’amitié proche de celle vertueuse proposée par Aristote, on retrouve cette idée de créer une relation affective et vertueuse.
La parfaite amitié est celle des hommes bons et semblables en vertu. Chacun veut du bien à l’autre pour ce qu’il est, pour sa bonté essentielle. Ce sont les amis par excellence, eux que ne rapprochent pas des circonstances accidentelles, mais leur nature profonde. Leur amitié dure tout le temps qu’ils restent vertueux, et le propre de la vertu en général est d’être durable. Ajoutons que chacun d’eux est bon dans l’absolu et relativement à son ami, bon dans l’absolu et utile à son ami, bon dans l’absolu et agréable à son ami. Chacun a du plaisir à se voir soi-même agir, comme à contempler l’autre, puisque l’autre est identique, ou du moins semblable à soi.
Leur attachement ne peut manquer d’être durable : il réunit, en effet, toutes les conditions de l’amitié. Toute amitié a pour fin le bien ou le plaisir, envisagés soit absolument, soit relativement à la personne aimée, et supposant alors une ressemblance avec elle, une similitude de nature, une parenté essentielle. De surcroît, ce qui est bon absolument est aussi agréable. L’amitié atteint au plus haut degré d’excellence et de perfection chez les vertueux.
Mais elle est fort rare : les personnes qui en sont capables sont fort peu nombreuses. D’autant qu’elle demande du temps et des habitudes communes.
Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre VIII
Passons maintenant à l’étymologie. L’amitié vient du mot amistet, que l’on pourrait définir comme une « affection entre deux personnes en dehors des liens du sang ou de l’attrait des sexes ». Ici, ça devient intéressant. En effet, si on cherche à définir la notion d’amour platonique, on pourrait trouver une définition du style qu’on aime une personne pour ses qualités plutôt que pour la personne en elle-même.
Résumons donc. L’amitié vertueuse est le fait que deux individus noue une relation du fait de leur vertu, de leurs qualités. L’amour platonique elle, est un sentiment d’attachement du fait de la vertu de la vertu et des qualités de cette personne. Finalement, il n’y a point de contradictions entre amitié vertueuse et amour platonique, étant donné qu’ils sont soit les deux facettes d’une même réalité, soit deux noms différents pour définir le même objet. Allons plus loin. Ne dit-on pas que la vraie relation d’amour, pour qu’elle soit durable, doit être une relation d’amitié poussée à son paroxysme ? Et qu’au final, les liens entre amour véritable et amitié véritable sont nombreux ?
L’amour platonique est-il une forme d’amitié ? Assurément oui. Allons même plus loin, les liens entre amour (véritable) et amitié (vertueuse) sont extrêmement forte. On apprécie une personne pour son essence, sa vertu, tel un miroir qui nous aide à nous progresser. Ainsi, loin de l’idée reçue entre une dichotomie, voire une incompatibilité, entre amour et amitié, on voit ici que ces deux concepts sont plus intimement liés qu’il n’y parait. Ainsi, pour résumer notre propos, on peut dire que l’amour, comme l’amitié sont des échelles pour permettre de progresser de manière vertueuse. On retrouve ici une notion quasi-mystique, donnant des nouvelles dimensions à ces concepts.
Je remercie d’avance mon lectorat pour me pointer coquilles et erreurs de raisonnement que je n’aurais pas vu. Après tout, l’amour ne rend-il pas aveugle ?