Voici le quatrième billet de la série sur le logiciel libre, contenant ici la Partie 3 du texte.

Sommaire

Partie 3 : Les enjeux du logiciel libre

Nous allons désormais aborder le logiciel libre d’un point de vue économique et social. En effet, nous allons voir que le logiciel libre s’ancre de plus en plus dans la société, et qu’il peut également s’insérer dans notre économie.

Enjeux de société

Aujourd’hui, l’informatique a pris une place fondamentale dans la société. Comment pourrait-on désormais concevoir une société sans ordinateurs, sans Internet ? Le logiciel libre n’est pas une exception : lui aussi arrive petit à petit dans notre quotidien, parfois de manière volontaire mais aussi dans certains cas où l’on ne s’y attendrait pas.

Prenons pour commencer l’exemple le plus flagrant de logiciel libre ayant percé dans notre société : Linux. Associé à des outils permettant de former un véritable système d’exploitation, tels les logiciels issus du projet GNU dans le cas d’une distribution GNU/Linux, le noyau créé par Linus Torvalds s’est immiscé dans beaucoup de vos objets quotidiens. Votre smartphone fonctionne avec Android ? Vous utilisez le noyau Linux, sur lequel Android est basé. Vous possédez une Freebox ? Encore une fois, vous utilisez Linux par le biais du système d’exploitation de votre box. Beaucoup de serveurs informatiques fonctionnent avec une distribution GNU/Linux, ce qui signifie qu’en chargeant une page web c’est probablement un serveur tournant sous Linux qui vous sert cette page : vous utilisez donc Linux de manière indirecte. Nous pouvons citer d’autres logiciels libres couramment utilisés, comme la suite de bureautique LibreOffice, le logiciel de manipulation d’image GIMP, le lecteur multimédia VLC, et bien d’autres !

Au fur et mesure que le logiciel libre progresse dans sa percée, nous pouvons constater qu’il met en jeu plusieurs aspects sociétaux. Tout d’abord, il apporte une alternative aux logiciels propriétaires concernant l’aspect mercantile. Le logiciel libre est considéré comme un bien non-marchand : il ne s’échange pas sur un marché, et son prix est dans beaucoup de cas nul, sinon relativement faible. Le logiciel libre modifie le niveau d’accès au savoir pour tous : du fait de son accessibilité financière, il permet la démocratisation de l’accès à l’information, à la connaissance. L’éducation étant dans la plupart des pays « occidentaux » le domaine auquel l’État apporte le plus gros budget, nous pouvons dire que c’est un deuxième enjeu sociétal mis en avant par le logiciel libre. Pour apporter un exemple encore plus concret de la place du logiciel libre dans notre société, nous pouvons évoquer le cas du projet GNU : en janvier 2004, l’UNESCO a conféré au projet initiateur du mouvement du logiciel libre la valeur de « Trésor du Monde » et dans le même temps a élevé le logiciel libre au rang de patrimoine mondial de l’humanité.

Pour terminer, le logiciel libre permet de réduire le montant de la facture numérique, qui dans certaines institutions peut s’avérer exorbitante si celles-ci utilisent exclusivement des logiciels payants. L’argument de gratuité ou de quasi-gratuité dans quelques cas est aussi une raison de l’avancée du logiciel libre dans les foyers.

Enjeux stratégiques

Nos administrations essaient depuis quelques années de se convertir lentement à l’usage des logiciels libres. L’exemple le plus connu en France est celui de la Gendarmerie Nationale, qui utilise la distribution GNU/Linux Ubuntu comme système d’exploitation depuis 2006. Cette transition s’est faite progressivement, en commençant par remplacer la suite bureautique Microsoft Office par OpenOffice.org en 2005, et en adoptant d’autres logiciels libres tels Firefox et Thunderbird. Cette migration leur a permis d’économiser des millions d’euros : un rapport publié par la Commission Européenne en 2009 indique que la Gendarmerie Nationale française a depuis 2004 économisés 50 millions d’euros de frais de licences et de maintenance, et a été capable de réduire son budget annuel informatique de 70 % sans pour autant en réduire les capacités et les performances.

Cet exemple me permet d’ouvrir cette partie montrant les différents enjeux que peut apporter le logiciel libre s’il est utilisé en administration. Comme nous avons pu le voir avec les chiffres très parlant de l’expérience de la Gendarmerie Nationale française, l’un des premiers enjeux est avant tout économique. En effet, qui dit logiciel libre dit meilleure maîtrise des coûts : prenant compte du fait que beaucoup de logiciels libres sont mis à disposition gratuitement, les seuls frais que pourrait avoir ladite administration (par exemple l’État) concerneraient les solutions de maintenance, qui elles sont payantes. En revanche, l’administration pourrait aussi choisir de ne pas faire appel à une société de maintenance extérieure.

Mon second exemple d’enjeu apporté par le logiciel libre concerne les formats de données utilisés par les logiciels libres. Pour la définition Wikipedia1, un format de données « est la manière utilisée en informatique pour représenter des données sous forme de nombres binaires. » Pour faire simple, un format de données peut-être une image .png, un document texte .txt, une musique .mp3, etc. Les formats de données correspondent aux extensions que vous pouvez trouver en fin de fichiers. Les logiciels libres ont la particularité d’utiliser des formats de données dits « ouverts » et « standards ». Les formats ouverts sont des formats de données étant interopérables, c’est-à-dire pouvant être lus par plusieurs logiciels différents ayant la même fonction, car ils respectent des standards de normalisation. Par exemple, les documents de bureautique en .odt sont dans un format ouvert appelé OpenDocument, pouvant être lu par tous les logiciels de bureautique. L’interopérabilité est le premier avantage des formats ouverts : elle permet le partage des fichiers à tous les utilisateurs, sans se soucier du logiciel qu’ils utilisent. Le second avantage est la pérennité des fichiers enregistrés dans un format ouvert. En effet, prenons le cas d’un format « fermé » lu exclusivement par un logiciel propriétaire. Il se trouve qu’au bout de deux ans, le logiciel en question n’est plus disponible : le fichier étant enregistré dans un format que seul ce logiciel pouvait lire, si l’utilisateur n’a pas conservé une version du logiciel, ou que les avancées technologiques ne lui permettent pas d’utiliser ce logiciel maintenant dépassé, le fichier ne pourra plus être lu. Avec un format ouvert, cela aurait été différent : si le logiciel utilisant un format ouvert devient obsolète, l’utilisateur pourra toujours le lire avec un autre logiciel ayant la même fonction : la pérennité du fichier est assurée !

Utiliser des logiciels libres, c’est dans beaucoup de cas utiliser des formats ouverts, et ceci peut-être un gros avantage pour nos administrations. Les frais de maintenance des fichiers en seront réduits.

Même si cet argument est plus polémique car pas tout à fait applicable dans tous les cas de figure, on peut aussi parler d’enjeu de développement durable. On peut considérer que l’utilisation de formats standards pérennes peut dans certains cas réduire le maintien de documents au format papier. Je reste délicat sur cet aspect, car on m’a soufflé (merci à Dominus Carnufex) que cela ne suffit pas pour se passer totalement du papier. Disons que c’est un début, mais pas encore possible pour la totalité des documents.

À travers ce chapitre, nous avons pu voir que l’usage des logiciels libres dans les administrations pourrait apporter quelques bienfaits, qu’ils soient économiques et humains, et nous pouvons tout de même souligner qu’aujourd’hui des efforts sont faits pour promouvoir le logiciel libre au sein de ces administrations.

À suivre…


  1. Format de données, Wikipedia.