Internet est un outil formidable. En effet, il permet à chaque individu de s’exprimer à un auditoire plus large que par d’autres canaux, tels que la télévision ou la radio. Cela permet de donner une caisse de résonance à des informations, par exemple le déroulement d’un événement comme une manifestation ou une initiative citoyenne, de manière plus importante qu’auparavant. Néanmoins, cet outil est aussi utilisé pour diffuser des messages prônant des idéologies parfois douteuses. Sans rentrer dans un jugement de valeur en disant qu’il faut penser ça ou ça, il existe un certain nombre d’outils mentaux pour exercer un esprit critique. Bien que cette méthode puisse aisément être appliquée à Internet, de par l’abondance des informations qu’il contient, elle peut bien sûr être adaptée pour d’autres supports comme des tracts ou des discours.

Face à une volonté de recherche de l’information « objective », comment mettre en place un mécanisme d’esprit critique ?

Pour répondre à ce problème, nous allons appliquer la méthode zététique, ou l’art du doute. Cette dernière consiste à se poser un certain nombre de questions pour ne pas prendre pour agent comptant ce qui est dit.

Lorsqu’on communique dans le but de transmettre une information, plusieurs éléments rentrent en compte.

Ainsi, le destinataire est celui qui reçoit le message. Ce dernier, de part son vécu et par son environnement, pourra interpréter différemment un message. On ne réagit pas de la même manière à la mort de quelqu’un si on est un parent proche ou le directeur d’une agence de pompes funèbres. De ce fait, le destinataire d’un message doit exercer une certaine forme d’esprit critique vis-à-vis du message. En plus de comprendre ce qui est explicitement dit, il doit décoder ce qui est sous-entendu entre les lignes. Par exemple, le destinataire doit comprendre si une source est au premier degré ou tient de l’ironie.

Un autre acteur rentre en jeu, c’est l’émetteur. Ce dernier, en voulant transmettre un message dans un but précis, une intention – de manière consciente ou inconsciente – attend une réaction. Si vos parents vous disent de venir à table, ils veulent que vous éteigniez votre ordinateur pour venir manger.

Cette intention peut changer radicalement la nature du message. L’affirmation « la technologie est mauvaise pour la nature » peut montrer différentes facettes. D’une part, c’est une critique du consumérisme et de l’exploitation acharnée des ressources naturelles. Derrière cette affirmation, l’émetteur peut attendre une action de recyclage. Mais ce message peut être aussi être interprété comme « la technologie est mauvaise, il faut la rejeter et revenir à la bougie ». Dans ce contexte-là, ce n’est pas une critique des moyens de production, mais de la nature même du progrès. On ne doit plus adapter notre production pour qu’elle soit durable en prenant que des ressources renouvelables, mais prôner un retour net au passé.

Ainsi, avant de lire un message, il faut comprendre l’intention d’une personne et donc son contexte. C’est un travail long, laborieux, qui nécessite d’approfondir un sujet et faire des recherches. C’est donc quelque chose de rébarbatif et peu de personnes le font. Pourtant, c’est quelque chose de nécessaire. En effet, imaginons que vous souhaitiez vous renseigner sur la crise en Ukraine. Vous retrouverez des informations venant du côté russe, qui cherche à légitimer un certains nombre d’actions notamment en Crimée, et de l’autre les informations venant de l’Union Européenne qui veut montrer, à tort ou à raison, que la Russie ne devait pas envahir l’Ukraine. On retrouve ainsi des informations avec des intentions antinomiques.

De nombreux sites internet compilent la réfutation d’hypothèses fallacieuses. Ces derniers, par des recherches, démontent les thèses avancées. Avant d’entreprendre des recherches approfondies, de nombreux signes devraient vous faire tiquer.

Si je dois vous donner un conseil, méfiez-vous des raisonnements manichéens réduisant le monde à une situation où tout est soit tout blanc soit tout noir. Pourtant il n’y a ni gentils ni méchants, juste des intérêts et des points de vue différents.

Méfiez-vous des théories du complot. Il est facile de tomber dans le piège du « on ne nous dit pas tout. » Les scandales récents ou moins récents d’actions menées par les services de renseignement tendent à leur donner raison. Néanmoins, il faut se questionner sur l’intérêt des théories complotistes. L’idée d’un complot judéo-maçonique est assez ancienne, datant de la Révolution française. Néanmoins, elle sert surtout à nourrir l’antisémitisme, ou détourner l’attention sur un bouc-émissaire.

De même, on peut se questionner sur les différentes allégations faites sur tel ou tel gouvernement. Quel gouvernement peut trouver un intérêt à, par exemple, empoisonner[^1] son propre peuple ? Pas énormément. Maintenant, retournons la question : qui a intérêt de décrédibiliser un gouvernement ? Ses adversaires. Soyons clair : la critique légitime d’un gouvernement ou d’une institution n’est pas mauvaise. Néanmoins, ces derniers sont souvent prise pour cible, car représentant une autorité, et de facto, représente la « cause de tout les problèmes ».

Méfiez-vous aussi de tous les sites qui se disent « alternatifs », promouvant une « information alternative » ou de « contre-propagande ». Généralement ces derniers sont le cache-sexe de l’extrême-droite ou un pays étranger souhaitant qu’on soutienne sa politique. L’intention est de se montrer en héros. De ce fait, les contenus de ces sites se réduira aux faits qui les arrangeront. Attention, je ne dis pas que tous les sites « alternatifs » sont forcément une propagande, néanmoins c’est un prétexte souvent utilisé.

Certains sites pratiquent le confusionnisme. Cette pratique consiste, par différents procédés telle une argumentation biaisée, à « brouiller les pistes », empêchant le lecteur d’exercer un esprit critique. On retrouve notamment sur ces sites un bric-à-brac de sujets consensuels, comme des articles scientifiques (souvent du copié/collé), des articles franchement marqués politiquement, comme relayant le discours de personnes peu fréquentables. Ce procédé d’information consensuelle permet de baisser notre vigilance : en se disant que ce site n’est pas « dangereux », on arrête notre esprit critique et on lit les articles. Mais le loup se cache dans les détails, et dans un article banal peuvent être distillées des informations qui, hors contexte, pourraient être répudiées facilement. Le problème avec ce genre de techniques c’est qu’à force de fréquenter telle ou telle doxa, elle nous paraît normale. Si j’ai grandi dans un environnement trouvant qu’il est normal d’être raciste, je ne remettrai pas en cause cette pratique. Pire encore, si quelqu’un me fait remarquer que cela est mal d’être raciste, se passera en moi un phénomène de réactance, critiquant ceux qui nous critique, pensant avoir raison. Notre jugement sera biaisé. Si on entend beaucoup parler de meurtres ou de viols, notamment à la télévision, on va penser que notre monde sera dangereux, bien plus que dans la réalité. Si on consulte de nombreux articles sur un complot venant de tel ou tel groupe, on va considérer à tort ces personnes comme boucs émissaires auxquelles on pourra reprocher tous les maux. De là naissent le racisme, l’homophobie, la transphobie, l’antisémitisme ou la misogynie.

Concrètement, comment se constituer un esprit critique ? Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour vérifier la validité d’une information. Tout d’abord, et comme cela a été démontré précédemment, il faut savoir qui parle. Ainsi, si vous lisez un texte d’un homme politique sur son adversaire, vous savez que son avis sera biaisé et pas forcément représentatif de la réalité. Le but pour ce politique sera évidement de décrédibiliser l'adversaire. Dans ce cas-là, il faut voir dans quelle intention cela est fait. En décrédibilisant l’adversaire, l’homme politique souhaite vous faire adhérer à sa cause.

Une chose essentielle est de vérifier les sources des articles. Sont-elles floues, comme « quelqu'un proche du dossier » ? Méfiance. Viennent-elles d’un sondage ? De quelle manière sont elles faites ? Selon les questions posées, les résultats peuvent changer. La source a-t-elle un intérêt particulier ? Par exemple, une entreprise souhaitera toujours parler en bien de ses produits. Vérifier les sources est donc important. Ces dernières ne doivent pas être biaisées et requièrent autant de vigilance que l’article en lui-même.

Maintenant qu’on a étudié ce qui entoure le texte, il faut voir le contenu. On va donc vérifier l’argumentation. Fait-il appel à des faits logiques favorisant la réflexion ? De ce fait, il essaye de nous convaincre en faisant appel à l’intellect. Il démontre par a+b un phénomène. Cela ressemble à une démonstration scientifique : cela doit être expliqué.

A contrario, au lieu de convaincre, on peut persuader. Cette méthode fait appel aux sentiments. L’auteur joue-t-il dessus ? Fait-il appel à la compassion, à la haine, à la colère ? Il faut se méfier. L’appel aux sentiments fait répondre nos instincts « primitifs », et de ce fait empêche toute pensée ou tout raisonnement logique.

Cette infographie devrait vous aider à voir plus clair dans les différents types d’arguments fallacieux :

De plus, nous sommes conditionnés par de nombreux facteurs, engendrant des biais cognitifs. Il faut donc en tenir compte.

Finalement, je vous conseille d’utiliser le rasoir d’Ockham. Ce dernier peut être résumé en « l’hypothèse la plus simple est la plus probable ». Un exemple parlant est tiré de la série Docteur House « quand tu entends des sabots, pense cheval pas zèbre ». Je rajouterai la variante de Hanlon « Il n'est pas nécessaire d'attribuer à la malice ce que la bêtise (l’erreur humaine) suffit à expliquer ».

Pour résumer, on pourrait se poser les questions suivantes : qui parle ? Dans quelle(s) intention(s) ? Sur quelles sources se base-t-il (et quelle est leur validité) ? Comment s’exprime-il ? Ce qu’il dit est-il plausible ?

Néanmoins, ne tombez pas dans le piège de l’hyper-criticisme. Cette dernière est une critique excessive d’une source dans les moindres détails pour lui donner tord. Il faut pratiquer la devise de Paracelse « Toutes les choses sont poison, et rien n’est sans poison ; seule la dose détermine ce qui n’est pas un poison. » Modération en toute chose : avoir l’esprit critique pour ne pas tomber dans le piège de la désinformation, mais ne pas tomber non plus dans l’excès et tout rejeter ! De nombreuses personnes usent de l’hypercritique à l’extrême, jusqu’à réfuter l’idée que l’être humain est allé sur la Lune !

Si on veut résumer, de nombreuses sources dites « d’information » veulent transmettre un message. Ce dernier est souvent biaisé pour qu’on adhère à une thèse. Le plus souvent, l’intention est d’attirer la haine vers une cible désignée, qu’il soit une personne, un groupe ou une institution. Il est possible, en pratiquant une analyse fine, de les détecter. Il faut donc vérifier les sources d’informations, et l’identité de l’auteur et dans quelle(s) intention(s) a-t-il écrit l’article. L’esprit critique est comme un muscle : pour qu’il soit performant, il faut pratiquer !

Pour aller plus loin

Vérifier les informations fausses

S’informer contre les raisonnements biaisés