Notre ami André parlait d'un déclin. Selon ma vision des choses, il n'y a pas de déclin, mais seulement un processus de transition civilisationnelle. Il y a donc perception différente d'un même phénomène.

Il est clairement établi par les nombreuses observations de nos contemporains - et qu'importe leur sensibilité idéologique ou politique - que notre monde va mal. De nombreuses critiques mais aussi des propositions foisonnent à travers le monde. Le film En quête de sens réalisé par Nathanaël Coste expose à travers le monde un certain nombre de signes de ce changement.

Toute civilisation, qu'elle soit grecque, romaine, chinoise ou aztèque suit un mouvement organique. Elle croit puis atteint une apogée et meurt petit à petit. Un peu comme un être vivant : il grandit en passant par l'enfance et l'adolescence, atteint son apogée avec l'âge adulte, puis meurt après avoir vieillit. S'ensuit une autre civilisation. Pour reprendre une autre métaphore, c'est un peu comme les saisons : après l'hiver, le printemps, différent du printemps précédent.

Nous sommes donc dans une crise civilisationnelle. Les marqueurs de cette civilisation sont décriés. Les systèmes de valeurs, notamment la prépondérance de l'économie libérale de faire de la croissance infinie dans un monde fini, sont remis en cause. La recherche de profit, le matérialisme avant l'humain sont contestés. Bref, le système construit qui était efficace un temps ne l'est plus. Cela est normal : avec l'évolution de l'humanité, ses besoins ont changé. Il faut donc un autre cadre pour supporter cela.

Il y a un facteur inconnu : on sait ce que nous quittons, ce qui est inévitable, mais nous ne savons pas où l'on va. Dans quel monde ? Face à ce facteur, deux forces agissent : l'une est destructrice, l'autre génératrice. La première est générée par la peur. La peur de voir s'effondrer ce qui est acquis. C'est une vision assez pessimiste. On parle de déclin, de chute, comme si cela était en-soi une fin. Cela engendre des réactions primaires, animales, de défense : la haine s'instaure (nous avons peur, nous haïssons un ennemi commun pour nous protéger). La désunion est force de loi. Tout le monde se méfie de tout le monde. On tente de prendre le pouvoir et d'amasser des richesses pour survivre dans un lendemain sinistre. D'autres veulent revenir à un âge d'or passé hypothétique. Il y a donc une désagrégation de la société : elle s'écroule sous son propre poids, miné par la peur et la haine.

De l'autre se trouve une force génératrice. Elle sait que de manière inévitable tout va s'effondrer. Conscient de cela, on observe une tentative de construire « le monde d'après », d'établir les bases d'une nouvelle civilisation. Tous sont guidés par une envie irrésistible de vivre dans un monde meilleur. Tous expérimentent, échangent, et s'enrichissent en expériences. Les initiatives sont trop nombreuses pour être citées de manière exhaustive, mais elles existent et ce de partout dans le monde. De l'éducation à l'agriculture, en passant par l'économie solidaire et le lien social, une nouvelle société se dessine.

La peur de l'effondrement est compréhensible. Mais elle doit être surmontée par l'excitation et l'allégresse. Après tout, ce n'est pas tous les jours qu'on repense une civilisation.